L’art dans les chapelles, été 2003

Exposition chapelle Saint Michel, Le Sourn, Pontivy



Le travail de Dominique Jézéquel, artiste discret et solitaire, surprend par son dépouillement, son minimalisme ; l’état présent résulte d’une évolution sur quinze ans. Flairant le procédé, beaucoup le rejettent d’emblée, le repousseront encore : "trop simple, systématique, répétitif" entend-on alentour. D’autres heureusement prennent la peine d’attendre, devinant derrière cette géométrie quelque préméditation. Et ils regardent. Ce simple délai révèle la force visuelle, la spécificité de chaque assemblage, la puissance émotionnelle de la couleur. Plaqués au mur, les tableaux demandent à être lus, c’est à dire qu’intervienne la durée ; celà dérange, tant est ancrée l’habitude de recevoir intantanément la charge d’une peinture. Non seulement l’oeuvre ponctue la paroi mais elle rythme l’espace, transforme le lieu. Pour comble, il n’y a plus de matière, simplement la couleur, dans ses tons raffinés, ses nuances rares.

Presqu’au départ de l’aventure, un jeu de lignes et de bandes, une lutte de formes parallèles, pointues, convexes (1992-1995) ; ensuite, une opposition de surfaces égales, rectangles divisés par une médiane ou partagés en triangles par une diagonale (1995-1999), parfois la suggestion d’un pliage due aux lignes marquées en croix (1999). Et un travail précis, exigeant sur la couleur qui naît de la fusion de touches appliquées au pinceau, lentement ajustées, plusieurs fois reprises du fait d’un sèchage nécessaire à la peinture à l’huile. En résultait une matière vibrante, intense, des nuances proches des "microchromies" de Fernand Leduc. Bien que la critique disait son "art épuré, dépouillé, essentiel" (1992), le peintre devinait qu’étaient de trop la technique subtile, acquise avec la ferveur de l’autodidacte, les pratiques retrouvées d’un XVIIe siècle italien ou flamand, l’utilisation du vernis, la pâte colorée, l’huile de lin cuite. Bientôt, il affirmait clairement : "Seule la couleur m’intéresse" (1994).

Alors, il changea de support, délaissant la toile pour l’écran cathodique, le pinceau pour l’ordinateur, élargit le champ de deux à quatre couleurs (1999). Fort de la liberté que lui accorde une activité extérieure à l’art, soutenu par quelques aides pour un matériel adéquat, il se remit à expérimenter avec lenteur et régularité, en colorant des surfaces identiques, en jouant sur le clair et le foncé. Bien que la main se fût effacée au profit de la machine, que la démarche parût moins concrète, le propos demeurait la tension, l’équilibre, le basculement des couleurs. De même que la toile évoluait en fonction du temps passé à la peindre, de même l’égalité au départ des carrés juxtaposés se modifie à l’écran selon l’intensité des aplats. Tout - et c’est le plus délicat - est affaire d’ajustement minutieux, de compensation précise pour que le tableau se tienne, une fois imprimé sur papier, que les couleurs s’accordent ou s’affrontent selon l’idée première qui continue de sous-tendre le travail.

Qu’on en juge, ces "peintures numériques" sont loin d’être, comme l’affirment les malveillants, des "carrés de plastique collés sur alu". D’évidence, une façon d’écarter le trouble naissant, éviter d’y "chercher quelque chose"! Pouvait-il exister meilleur cadre que l’intimité d’une chapelle, pour présenter au public estival ce travail austère? Son apparente simplicité repose sur une patiente réflexion théorique ; sa cohérence tient plus à la rencontre inattendue de champs colorés qu’à la composition. L’émotion qu’il procure relève non de l’esthétique mais d’une imprécise force primitive, que l’on pourrait appeler l’inconscient. Ne serait-on proche de ce que dévoilèrent Matisse et Rothko, Albers et Newman? Loin d’appartenir au décor, ces assemblages qui n’ont ni centre, ni périphérie, ces plans simples qui évoluent, s’enfoncent ou s’avancent selon la lumière, qui réclament attente, aller et retour, n’invitent rien moins qu’à la méditation.

René le Bihan