DEUX COULEURS POUR UN ESPACE

texte d'Alain Béraud
 

Sur le ton de la confidence, Dominique Jézéquel dit dans sa peinture ce qu'il ne peut décrire avec les seuls mots, mais dit aussi ce qu'il désire exprimer avec la couleur. Son travail ne relève pas d'un code mais plutôt d'une sédimentation d'acquis et donc de données d'expérience plus que d'éléments de savoir, si bien que les toiles présentées aujourd'hui sont finalement des lieux plus que des objets.

La couleur que Jézéquel veut montrer sur la toile existe à un certain moment qui n'est pas un état dont les seuls paramètres seraient théoriques. Il y a la luminosité la saturation et la longueur d'onde apparentes mais il existe aussi la matière qui procure cette apparence et cette deuxième apparence est faite d'additions et de superpositions prises en compte. Deux apparences sont en complémentarité l'une de l'autre et la première ne peut faire l'économie de la seconde dans la mesure où la seconde est comme le support de la première. Jézéquel se montre surtout artisan de la seconde, mais, par là, donne un champ de premier ordre au jeu des paramètres responsables de la première.

La toile vierge est généralement préparée au blanc d'Espagne pour ménager une assise convenable à une première couche faite de pigment et d'oeuf. Puis la couleur de surface en rapport avec un vernis pâteux à l'huile cuite donne à l'ensemble un aspect recherché. Dans ce travail les qualités de transparence variables de la seconde couche jouent profondeur et translucidité sur la première plus opaque et les couleurs prennent une identité dans tous les rapports créés.

Dans ses toiles d'hier Jézéquel laissait encore une place au geste et au dessin comme s'ils installaient la couleur dans la surface. Certaines renferment un trait plus ou moins large et rapide, quelquefois blanc, le plus souvent à valeur de dernier signe. D'autres comportent des lignes de séparation plus ou moins larges entre les couleurs, lignes qu'elles ne demandent qu'à faire disparaitre par la suite, à mesure que les rapports de couleurs sont plus à portée de regard et de perception et sont finalement parlants d'eux-mêmes.

Dans les toiles d'aujourd'hui deux couleurs se manifestent côte à côte et en deux temps à l'intérêt des regards portés. Le premier temps se produit dans l'immédiat et le second dans la mesure où l'oeuvre appelle le regard dans un jeu réitéré. Cette dernière peut donc séduire mais elle peut aussi conduire à un enrichissement du "regardant" curieux qui va la décrypter. Dans l'aventure, les deux couleurs du peintre se libèrent d'une emprise de la forme et "donnent le ton" en toute indépendance puisqu'elles se partagent la toile sans complexes.

Ce qui semble finalement le plus intéressant réside dans le rapport entre "celui qui donne" et "celui qui reçoit". L'oeuvre se réalise en se révélant dans cet entretien, tandis que dans la réception, selon Paul KLEE, "....l'oeil suit les chemins qui lui ont été ménagés dans l'oeuvre...."

Dans leur paysage minimal les couleurs de Jézéquel entrent naturellement en interaction pour apporter un climat à ce paysage en quête de réalité. Une réalité se multiplie donc dans cette relativité de la couleur / perception, parce qu'elle est aussi couleur située au coeur d'un monde en mouvement dont il est difficile de nommer les instants, puisqu'ils sont à faire et à refaire et font la peinture.

 

Octobre 1994